
Évènement organisé par Luc Armanet, hébergé à la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimédias).
L’Animation s’engage est une rencontre professionnelle et militante, qui a pour but de rappeler la nécessité de lutte antifasciste et des luttes politiques jusque dans nos productions de film d’animation.
Des projections de courts-métrages ont eu lieu, suivies de discussions entre Luc Armanet (réalisateur et militant), Matthieu Béra (sociologue), Paps et Hisu (représentantes de l’association Les Intervalles), modéré par Thibaud Choppin.
Première partie : PROJECTIONS
Devant un public attentif, la première projection est celle des films ANIMAFPOP (Animation Antifasciste Populaire), mouvement dont Luc Armanet a été à l’initiative, qui a pris forme au moment de la dissolution de l’Assemblée Nationale et des élections législatives anticipées de juin 2024. Des centaines de travailleureuses de l’animation, motivé·es par le contexte politique alarmant se sont assemblé·es sur un serveur Discord, pour créer en deux semaines 18 court-métrages d’animation engagés afin d’inciter à voter NFP, à combattre de l’extrême droite et à se méfier de l’inaction politique.
Ces courtes capsules que nous avions partagées lors des deux tours législatifs sont depuis disponibles sur Instagram, sur le compte animafpop, ainsi que sur Facebook, via le compte Gauche d’Internet, et enfin sur une chaîne Youtube dédiée.
Nous espérons voir apparaître d’autres prises de positions engagées de nos collègues et camarades. Animaf est toujours actif et il est possible de rejoindre leur serveur Discord en transmettant sa demande sur Instagram. Une nouvelle initiative est en cours de préparation. Stay tooned.
S’en est suivie la projection du pilote de Sociologie de Comptoir, projet de Luc Armanet soutenu par la SCAM et réalisé en collaboration avec Noweur. Le pilote s’attache à expliquer les théories d’Émile Durkheim, considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie moderne.
Chaque épisode de cette série mettra en scène un·e sociologue connu·e dans un bar, permettant à un autre client du bar joué par Matthieu Béra, sociologue, de nous expliquer, à travers l’environnement et les client·es du bar, les analyses d’un·e sociologue.
Deuxième partie : DISCUSSIONS
Le modérateur de la conversation, Thibaud Choppin, avait des questions qui touchaient tant à la sociologie en tant que telle qu’à son application dans notre secteur professionnel.
Des pistes de réflexions ont été lancées sur les moyens de s’organiser politiquement dans le film d’animation, au-delà des syndicats, et en étant notamment dépendant des algorithmes des réseaux sociaux. S’est aussi posée la question de nos responsabilités en tant que créateurices culturelles, jeunesse ou adulte, fiction ou autre, ainsi que de l’individualisme grandissant dans nos sociétés.
Luc a pu rappeler le contexte de la création des films Animafpop : la bataille était d’occuper le terrain sur internet, pour ne pas laisser la place à l’extrême droite et à ses mensonges.
Des milliers de vues et des commentaires sous les films ont prouvé qu’ils avaient touché un public au-delà des cercles restreints des créateurices du film d’animation, notamment lorsque des fascistes ont attaqué les films.
Ce qui était une victoire du point de vue de Luc Armanet, dans le sens où notre présence en ligne les dérange, ou notre politisation prouve qu’ils trouveront des obstacles partout dans la société. Le collectif Gauche d’Internet a grandement participé, via ses milliers de followers, à rendre cette diffusion large possible.
La discussion a ensuite tourné autour des codes et supports utilisés par la jeunesse, notamment certains réseaux sociaux, pour s’informer, et la nécessité de s’en emparer pour les politiser.
L’extrême droite a, ces dernières années, envahi Tik Tok et Twitter/X. Elle déploie des stratégies de commerciaux et de communicants venus de la publicité, qui présentent des candidat·es jeunes, funs et dans des contenus dépolitisés. Ces contenus jouent sur le buzz, l’émotion immédiate, en particulier la sensation d’outrage, pour mobiliser l’audience qui les visionne. Ils mentent, détournent, déforment et vont jusqu’à inventer des hoax (des fausses informations diffusées en ligne) pour toucher un public qui ne se renseigne pas en parallèle sur leur programme et historique politique.
De son côté, la gauche peine à s’emparer de ce terrain, car elle s’appuie sur des explications rationnelles et sourcées dans un cadre qui n’y est pas du tout adapté : celui des formats courts des tweets, des reels et des Tik Tok…
Les Intervalles ont fait remarquer qu’iels n’étaient présent·es qu’en ligne, et parvenaient à atteindre leur public, en adaptant la forme de leur contenu aux plateformes.
Iels proposaient par ailleurs de travailler aux représentations faites dans nos productions d’animation françaises pour lutter contre les discriminations auprès des audiences jeunesse des programmes. Cela passe par la représentation non stéréotypée, plus diversifiée, en faisant également intervenir des personnes concernées sur les projets, et donc de diversifier autant les personnages que les créateurices de film d’animation. Il faut donner à voir à toustes les spectateurices un panel des sociétés, des modèles familiaux, culturels, socio-économiques existants, afin de développer l’empathie auprès de nos audiences.
Comment faire front et lutter collectivement face à l’individualisme ?
Matthieu Béra présente les réseaux sociaux comme des espaces très individualisés, qui ne nous sortent pas de notre bulle sociale et nous enferment dans des discours toujours plus restreints et autocentrés. Il insiste sur le fait qu’ils ne sont pas prévus pour débattre ou avoir des échanges sereins, mais pour créer des réactions à chaud, amenant à des contenus viraux.
Paps a fait remarquer qu’à l’inverse, une partie de son éducation politique s’était faite grâce à Twitter et à des personnes complètement en dehors de son champ social qu’iel n’aurait sinon jamais eu l’occasion de rencontrer et d’écouter. Iel ajoute qu’un contenu viral n’est pas forcément négatif, pouvant permettre à une partie de la population, peu entendue dans les médias traditionnels, de se faire entendre.
Les Intervalles sont ainsi présent·es sur une majorité des réseaux sociaux et adaptent le contenu posté à chaque plateforme et audience. L’association tente de créer du collectif sur chaque réseau social, malgré les obstacles de leurs algorithmes, et à défaut d’avoir des locaux dans chaque ville où l’on trouve des studios d’animation en France.
Pour lutter contre l’individualisme, Paps a rappelé que faire collectif et se mobiliser ensemble sur nos lieux de travail était primordial. Qu’il fallait se trouver des allié·es pour non seulement s’assurer que notre droit du travail était respecté, en échangeant sur nos salaires, conditions de travail etc. mais également pour réagir lorsque les contenus de nos films d’animation étaient stéréotypés et conservateurs.
Iel a donné un exemple d’une blague récurrente transphobe dans un épisode d’une série pour laquelle une animatrice s’était plainte à ses collègues et chargé·e de production. Grâce à leur mobilisation (à l’amiable, en prenant en compte les impératifs de production), iels ont pu faire modifier les scènes en question de l’épisode. L’effet de groupe était réel, et n’a pas eu d’impact négatif sur la carrière des travailleureuses concerné·es.
Une intervention d’une autre membre des Intervalles, dans le public, a enfin rappelé l’importance du syndicalisme, et les différents degrés d’engagement qu’il impliquait, pour rappeler que tout type d’engagement n’a pas à être un immense don de soi :
- se renseigner
- partager des infos
- cotiser
- participer activement au syndicat en donnant son avis, posant des questions
- participer à l’élaboration de textes et visuels
- participer physiquement en allant par exemple à la table des négociations
Et que ça n’a pas à être permanent. Il en va de même pour l’engagement associatif.
La rencontre a permis de rappeler qu’un front de gauche, antifasciste existait au sein du film d’animation français, que ses travailleureuses pouvaient au besoin s’auto organiser pour proposer du contenu frappant et visible, touchant tout notre secteur. Il est dès lors nécessaire de continuer à lutter, en ligne comme sur le terrain, via des associations et syndicats, à hauteur des disponibilités de chacun·e, et de s’informer, via ces organismes, sur l’actualité politique qui touche notre milieu et au-delà.
Alors, si vous vous sentez concernés et que vous voulez agir, nous espérons que ce compte-rendu vous aura donné des pistes. Mobilisation entre collègues ou engagement syndical ou associatif: vous n’êtes pas seul·e !
