Pour la première fois dans l’histoire de notre secteur, Les Intervalles proposent un baromètre des travailleureuses du film d’animation !!
Qui sont-iels, quels sont leurs salaires et conditions de travail, leurs inquiétudes et leurs témoignages ?
Merci aux quelques 1000 personnes qui ont pris le temps de répondre à notre questionnaire sur lequel est basé ce baromètre !!
Introduction
Le film d’animation français, et plus largement mondial, traverse une crise sans précédent. Notre industrie est progressivement touchée depuis l’automne 2022, et elle impacte, sur le court comme sur le long terme, les travailleureuses qui la composent.
Nous ne reviendrons pas ici sur les causes de cette crise, multifactorielle et pour laquelle nous ne disposons pas de toutes les données nécessaires. Nous nous attarderons plutôt sur ses conséquences, en dressant un baromètre des travailleureuses et du droit du travail dans notre secteur.
Le CNC et l’initiative France 2030 s’extasiaient, en 2021, de la force de notre industrie, et souhaitaient, avec “La Grande Fabrique de l’Image” l’encourager et la consolider. Mais force fut de constater que cela n’a pas empêché les studios de couler : en 2024, O2O, à Saint-Malo, a dû fermer, faute de commandes suffisantes, Team TO, puis Cyber Group Studios, ont dû passer en redressement judiciaire. En 2025, c’est au tour de Technicolor, qui possède MPC, The Mill et Mikros, d’annoncer son redressement. Une partie de ses studios canadiens, américains et anglais vont également fermer, rapatriant fort probablement une partie des Français·es immigré·es sur place, dans un secteur déjà en crise et saturé. ON Animation, qui appartient à Médiawan, Solidanim et Umanimation ont également annoncé leur fermeture, et le chiffre d’affaires de Xilam a même baissé, une première depuis son entrée en bourse. En parallèle, les écoles appartenant à de grands groupes continuent d’ouvrir de nouveaux campus, sans s’assurer de l’état du marché du travail ou des besoins du secteur au préalable.
Voilà pour le tour de piste introductif. Mais ce ne sont pas les entreprises qui nous intéressent ici en premier lieu, ce sont les travailleureuses qui la composent. Nous vous proposons donc ci-dessous un baromètre des employé·es du film d’animation français. En parallèle, nous remarquons un nombre grandissant de problèmes dans notre secteur, allant de la précarité aux abus des employeurs, et souhaitons participer à son amélioration en transmettant à nos syndicats les sujets que les travailleureuses souhaiteraient voir aborder. Nous pouvons, toustes ensemble, lutter pour de meilleures conditions de travail, avec plus de transparence, des salaires plus justes et des carrières plus longues et plus stables. Ce baromètre a donc également pour vocation de mettre en lumière les luttes que nous devons mener.
Nous l’avons basé sur deux modèles : un questionnaire mené en 2023 par Animation Workers Ireland, le syndicat principal de l’animation en Irlande, sur les conditions de travail et salaires du secteur; et le baromètre 2022 du STJV (Syndicat des Travailleureuses du Jeu Vidéo). Nous avons récolté, en un mois, plus d’un millier de réponses de personnes évoluant dans le film d’animation français, soit plus de 10% de l’ensemble du secteur, chiffre à partir duquel on considère en général les études statistiques comme représentatives. Il faut cependant noter que plusieurs questions demandaient une certaine subjectivité de la part des répondant·es, notamment sur leur estimation d’ancienneté et les questions liées aux abus et manquements du secteur.
Vous trouverez, en annexe, l’ensemble des réponses données au questionnaire, exception faite des témoignages pour lesquels les répondant·es ont refusé leur partage public.


Qui sont les travailleureuses ?
Comme pour l’ensemble du secteur, la très grande majorité des répondant·es sont des intermittent·es du spectacle (85%). On compte également quelques postes dits “freelance” (artistes-auteurices, auto-entrepreuneuses) qui ne sont habituellement pas comptabilisés dans les rapports annuels du CNC, basés sur les chiffres d’Audiens. De même, nous comptons également les stagiaires et les alternant·es car iels font partie des travailleureuses du film d’animation bien qu’iels n’apparaissent pas non plus dans les comptabilisations du CNC.
Nous avons touché peu de personnes travaillant en animation volume, mais elles sont de manière générale peu nombreuses en France. On compte un peu plus d’artistes 3D que 2D mais cela fait sens, de par la taille des équipes en production 3D par rapport à la 2D.
Chose étonnante, 6% des répondant·es déclare exercer leur travail à un poste autre que ceux listés dans la Convention Collective. Il est possible que certains postes, tels la simulation de foule, le fur ou le fix anim, qui n’apparaissent pas dans la Convention Collective, expliquent ce pourcentage. Sachant que 41% des personnes qui ont listé un poste autre n’ont jamais lu la Convention Collective, une méconnaissance de celle-ci pourrait également partiellement expliquer les réponses autres aux postes listés.

Les chiffres des primo-entrant·es publiés par le CNC n’incluent pas les personnes qui le rejoignent en auto-entrepreneureuses ou artistes-auteurices. Cependant, ces chiffres indiquent déjà une quantité de personnes s’insérant dans le secteur bien trop importante par rapport à l’augmentation des effectifs de ces dernières années. Il y a par exemple peu de chance pour que 13% des personnes employées dans le film d’animation soient parties à la retraite en 2023*.
*Voir Annexes.
On peut compter les reconversions professionnelles, les travailleureuses qui quittent l’intermittence pour du freelance (en France ou à l’étranger), mais cela fait malgré tout une proportion de primo-entrant·es bien trop importante pour un secteur qui a certes connu un boom sur la dernière décennie, mais pas suffisamment pour absorber autant de personnes sur le long terme. Par ailleurs, les primo-entrant·es sont uniquement des personnes déclarées auprès d’Audiens pour la première fois, nous n’avons pas le pourcentage de celleux-ci qui parviendraient à faire leurs heures.
On note qu’en parallèle, 50% des répondant·es ont moins de 5 ans d’ancienneté dans le secteur et seuls 21% en ont plus de 10 années d’expérience dans celui-ci. 52% des répondant·es ont d’ailleurs moins de 30 ans. Lucile Boileau, lors des Assises du Stage en novembre 2023, avait par ailleurs calculé qu’environ 50% de nos effectifs étaient renouvelés tous les 5 ans. Un constat s’impose : si le secteur compte autant de personnes jeunes, qui n’y travaillent que depuis moins de 5 ans, c’est parce qu’un important turn over y prend place. Autrement dit, le film d’animation est une industrie où on ne fait pas de vieux os. Et nous allons vite comprendre pourquoi.

Une majorité des travailleureuses est locataire (57%), et seul un petit quart est propriétaire (26%), les quelques 18% restants ayant dû retourner vivre en famille ou n’ayant pas encore déménagé de chez celle-ci. La localisation ne semble pas favoriser l’une ou l’autre situation immobilière. Les plus jeunes ont évidemment plus tendances à être en (co)location (65%) et logé·es à titre gratuit (27%), mais les plus de 30 ans sont dans aussi nombreuxses en situation locative, à 47%, avec, comparativement, 45% de propriétaires.

Durée et temps de travail
L’intermittence implique souvent des pauses entre chaque mission. Ce ne sont pas nécessairement des vacances, vu qu’on doit chercher notre prochain emploi. Ces pauses ne sont donc pas toujours assimilables à un temps de repos et de recentrement, mais une période qui peut être stressante et qui, lorsqu’elle intervient en début de carrière, rend l’insertion professionnelle d’autant plus compliquée. Cette difficulté ressort de beaucoup de témoignages reçus sur le sujet. Une autre problématique fréquemment citée est celle de perdre ses droits et de ne pas réussir à quitter le régime général. Souvent, le changement de régime intervient via un travail alimentaire et perdure faute d’avoir retrouvé un emploi dans le film d’animation avant sa date anniversaire.
Ainsi, sur les trois dernières années (2022-2024), 47% des répondant·es ont cumulé moins de 2 ans de temps de travail dans le secteur. 18% n’ont pas même dépassés les un an. Évidemment, le pourcentage baisse lorsqu’on prend en compte les années d’expérience, mais il reste malgré tout qu’à 3 ans d’expérience dans le secteur, 36% ont moins de 2 ans de temps de travail cumulé, pourcentage qui reste stable vu que jusqu’à 9 ans d’expérience, on reste au-dessus de la barre des 30% de travailleureuses qui ne dépassent pas cette durée de temps de travail.


Celleux qui sont en début de carrière, les plus nombreuxses, peinent le plus à travailler : 50% des employé·es ayant travaillé un an et demi sur ces trois années ont entre deux et cinq ans d’expérience dans le secteur. Soit cette moitié a pris une grosse année sabbatique entre deux contrats, soit il y a eu de la difficulté à rebondir d’une mission à l’autre. En comparaison, seules 26% des personnes qui ont travaillé un an et demi ont entre 5 et 10 d’expérience et cela descend à 20% pour celles qui ont plus de 10 ans d’expérience.
Selon les chiffres du CNC, le taux de personnes n’ayant pas fait leurs 507h annuelles a baissé entre 2019 (38%) et 2022 (29%). Reste que le taux est assez élevé et qu’il a pu baisser en 2023 et 2024 du fait de la crise. Il faudra attendre les prochains rapports annuels du CNC sur le marché de l’animation pour en avoir le cœur net. Le dernier rapport mentionne déjà plusieurs estimations sur la base des premières données analysées : “pour les salariés intermittents, le niveau d’emploi, lié à la variation conjoncturelle de l’activité, diminue de 15 % entre avril 2023 et mars 2024”.
La difficulté à faire ses heures se ressent d’autant plus quand on observe le détail des périodes prolongées de chômage (de plus de deux mois) : 70% des répondant·es annoncent en avoir subi une à cinq sur les cinq dernières années. Sur l’ensemble de ces périodes, 46% ont duré 6 mois ou plus, jusqu’à plus d’un an parfois, remettant encore en question le renouvellement des droits Pôle Emploi. Pourtant, nous ne travaillons pas tant que ça pour de multiples studios, surtout que nous sommes encore assez dépendant·es de l’aire géographique dans laquelle nous habitons, puisque le télétravail est loin d’être généralisé dans le secteur. Ainsi, 83% des répondant·es ont travaillé pour 1 à 5 studios sur ces cinq dernières années, 58% pour 1 à 3 studios même. On observe également que les périodes d’activité et d’inactivité ne sont finalement pas particulièrement corrélées au nombre de studios pour qui l’on a travaillé, puisque quel que soit le nombre de périodes de chômage et leur durée, les répondant·es avaient en majorité travaillé pour 1 à 4 studios sur les cinq dernières années.
28% des répondant·es ont ainsi déjà perdu leur allocation d’intermittence faute de parvenir à faire leurs heures, mais un plus petit pourcentage est également responsable de sa perte de droits (13%), démontrant un besoin de responsabilisation et de formation des employé·es sur le sujet.

Salaires
La paye est un sujet épineux dans le film d’animation : notre Convention Collective possède une grille de salaires minimas garantis mais pas de grille salariale selon l’ancienneté ou l’expérience à chaque poste. Il est pour l’instant trop compliqué de définir un cadre de “niveaux” qui convienne à toutes les productions, quelles que soient leurs techniques, formats, cibles etc. En 2016, les syndicats avaient d’ailleurs refusé l’instauration d’un échelon junior dans la Convention Collective, qui aurait tiré tous les salaires vers le bas et aurait instauré des conditions impossibles pour assurer son évolution professionnelle.
Ainsi, nous ne disposons que de salaires minima garantis. Ils sont renégociés annuellement par les syndicats représentatifs, pour au moins équivaloir à l’inflation, même si la négociation n’aboutit pas toujours. Les employeureuses doivent suivre cette mise à jour, signée par les syndicats patronaux dont ils font en majorité partie.
Chaque studio est donc libre de proposer un salaire qu’il considère juste au regard de l’emploi et du budget de production dont il dispose, tant que celui-ci n’est pas inférieur au minima garanti. Les descriptions de postes manquant parfois quelque peu de précisions dans la Convention Collective, il arrive que des postes d’assistant·es s’apparentent en réalité au poste de graphiste associé à celui-ci, ou que l’on charge plus la fiche de poste qu’elle ne devrait l’être, comme ça a été le cas ces dernières années pour les storyboarders, avant qu’un avenant porté par le SNTPCT n’encadre mieux leurs tâches. De manière générale, on observe bien plus de bas salaires que d’équivalents au salaire médian en temps plein (2 090e net avant impôt en 2022 selon l’INSEE). 53% des répondant·es gagnent ainsi moins de 150e/jour.
On entend souvent que les travailleureuses sont moins bien payé·es en région par rapport à leurs collègues parisien·nes. Parmi les réponses récoltées, au-delà de 210e/jour, plus de 80% des employé·es habitent à Paris. En comparant à l’ensemble des salaires renseignés pour chaque grand bassin d’emploi, on observe qu’il y a plus de diversité de salaires en région parisienne qu’en région, où près de 50% des travailleureuses gagnent, quelle que soit la ville, entre 120e et 140e/jour.

En prenant en compte l’expérience, et non la localisation des artistes-technicien·nes, les salaires évoluent peu après 20 ans de carrière professionnelle. Avec 46% des personnes avec 10 à 20 ans d’expérience gagnant plus de 180e/jour, on pourrait s’attendre à ce que ce pourcentage soit bien plus élevé pour les personnes avec plus de 20 ans de carrière, pourtant celui ne dépasse pas les 59%. En comparaison, les 5-10 ans ne sont que 18% à dépasser ce salaire. L’évolution salariale se fait vraiment entre la dizaine et vingtaine d’années de carrière.
Là on pourrait par ailleurs attendre une évolution progressive des salaires en fonction de l’expérience, comme c’est notamment le cas pour les 0-5 ans de carrière professionnelle (en bleu sur le graphique), les autres échelons montrent une disparité de salaire et une progression bien moins linéaire de celui-ci.

Il est probable que les studios, de par leur type de projets (séries, courts, longs), leur taille (TPE, PME) et leur technique d’animation (2D, 3D, stop motion, mixte), mais aussi, comme on l’a vu, de par leur localisation (avec une opposition Paris / région), proposent des salaires très différents, depuis le minima garanti jusqu’à une paye plus confortable. Les réponses au questionnaire font en tout cas montre d’une grande disparité de montant de salaire dans le secteur, et de la nécessité de s’organiser collectivement pour s’assurer que ceux-ci ne soient pas trop bas.
Conditions de travail
Les questions sur les abus et manquements sont subjectives, en ce qu’elles démontrent parfois, à l’aune des témoignages qui les accompagnent, une méconnaissance du Code du travail, de la Convention Collective, et des syndicats du secteur. Il faut par ailleurs noter que cela ne concerne pas nécessairement les profils les plus jeunes, et qu’en parallèle, certains témoignages, de la part des travailleureuses les plus aguerri·es, semblent intérioriser et implicitement banaliser des abus professionnels.
Nous l’avons dit, la très grande majorité des employé·es du film d’animation sont intermittent·es du spectacle. C’est un régime spécifique créé en 1936 pour les technicien·nes du cinéma, pensé pour des contrats courts. Le film d’animation s’inscrit dans cette logique, bien que la réalité de terrain soit assez différente de celles des tournages de film et plateaux télévisés. Nos emplois, souvent plus longs, se concentrent dans quelques villes françaises, les principales étant Paris, Angoulême, Valence et Montpellier. En découle une certaine dépendance à des studios, ainsi que des abus récurrents, dans un milieu restreint où beaucoup d’entreprises ont encore tendance à s’organiser en faisant fi du Code du Travail et de la Convention Collective. Certaines illégalités sont banalisées au point de se retrouver dans plus de la moitié des réponses, telles que les heures supplémentaires non payées, la date de démarrage repoussée ou le contrat reçu en fin de mois ou de mission. Parmi les témoignages récoltés, 40% ont pour sujet la précarité de nos métiers, qui découle en partie de ces abus, qui sont quant à eux directement abordés dans 17% des témoignages. Cette précarité impacte nos vies professionnelles au point que 24% des témoignages parlent de reconversion, avec en parallèle l’instabilité du secteur, les IA génératives et les salaires en bonne place. A tel point que 29% des répondant·es ne sont pas certain·es de travailler dans le film d’animation français sur le long terme, et que seuls 54% seulement déclarent vouloir y rester, avec ou sans activité annexe.


La précarité et l’instabilité ne devraient pas être inhérents à nos métiers, sous prétexte qu’ils découlent d’une passion. Ce n’est pas parce que nous aimons notre activité professionnelle que nos employeureuses peuvent en profiter pour abuser de notre bonne volonté et conscience professionnelle. Cet argument du métier passion est récurrent dans le secteur, utilisé pour nous culpabiliser, réduire nos salaires, encourager les heures supplémentaires non payées, et pour éviter de remettre en question le fonctionnement des productions.

Ces abus et inquiétudes ne touchent pas uniquement les jeunes diplômé·es. Beaucoup d’entre elleux n’ont d’ailleurs pas toujours conscience de ces abus puisque les écoles ne proposent que peu de cours sur le droit du travail et le fonctionnement du secteur. Cependant, ces dernier·es sont plus à risque de subir des abus dès le stage, puisque 14% des répondant·es ont précisé intégrer des équipes avec une majorité de stagiaires, quand, en face, 10% se sont déjà vu·es imposer un·e ou plusieurs stagiaires, et 3% en ont même à l’occasion géré plus de trois simultanément. Rappelons que toutes ces pratiques sont illégales mais utilisées par les studios pour éviter d’embaucher des jeunes diplômé·es en CDDU pour un poste équivalent.

Parmi les difficultés récurrentes à l’ensemble du secteur, on peut noter la gestion du recrutement, qui pénalise à la fois l’insertion professionnelle des plus jeunes, et la pérennisation de certains profils, notamment féminins, à des postes clés. Le recrutement, dans le film d’animation, fonctionne avant tout par réseautage et copinage. Ce qui peut avoir du sens, car pour effectuer un métier créatif et collectif, mieux vaut s’entendre avec le reste de l’équipe et les supérieur·es hiérarchiques. Cependant, cela encourage un entre-soi des productions, allant du boy’s club aux permittent·es. Les personnes en charge de la production ont en parallèle de moins en moins de temps à dédier au recrutement sur les projets. Et si depuis quelques années, le site Jobotropo.com, créé par un animateur qui en avait marre de dépendre de groupes Facebook pas très professionnels, tente de regrouper les annonces dispatchées entre Linkedin, Facebook et les sites des entreprises, force est de constater que beaucoup de productions se font encore sans qu’aucune annonce ne soit publiée pour en recruter les équipes.

Le recrutement dépend d’un facteur chance non négligeable, qui fait qu’on doit rencontrer les bonnes personnes au bon moment, et mettre un pied dans la porte d’un studio pour qu’il nous rappelle ensuite d’une production à l’autre. Cela dépend de l’école que l’on a fréquenté, mais également des biais de chacun·e. Le plafond de verre, voire le mur de verre, n’est alors pas loin, car les femmes peinent encore à rejoindre les postes créatifs clés en dehors du court-métrage (voir nos études sur les représentations genrées sur la décennie 2010-2020, et sur les derniers Cartoon Forum, Cartoon Movie et Écran Total Spécial Animation).

Attardons-nous un instant sur le sexisme du milieu : 19% des répondant·es disent avoir subi·es ou été témoins de VHSS qui n’ont pas été adressées malgré leur signalement. 26% considèrent que la prévention et gestion des VHSS en entreprise est un angle mort notable du secteur qu’il conviendrait de faire remonter aux syndicats. Nous vous encourageons à vous référer au guide que nous avons publié pour la protection des travailleureuses contre les VHSS.

Parmi les inquiétudes, 22% des répondant·es s’inquiètent de la parité en entreprise. Nous avons bien les chiffres du CNC qui nous assurent que la féminisation des métiers progresse (42% des effectifs en 2023), mais ils ne rentrent pas assez dans le détail du tableau : nous n’avons pas de chiffres selon les techniques d’animation (2D, 3D, Volume, Mixte), ou selon les formats (courts-métrages, séries, longs-métrages, unitaires) ou encore selon les postes précis, uniquement les familles de postes (donc pas de distinction entre un·e lead animateurice et un·e assistant·e animateurice par exemple). Le CNC précise malgré tout qu’une majorité de femmes sont à des fonctions supports, de distribution et de gestion de production. Comment faire carrière dans un secteur où les boy’s club sont légions, les congés parentaux quasi inexistants et où les conditions pour fonder une famille (une charge encore majoritairement portée par les femmes) sont tout sauf réunis, ne serait-ce qu’à cause de la précarité de nos métiers et de nos contrats courts ?


Parmi les abus que nous n’avions pas listés, 10% des répondant·es nous ont par ailleurs fait part de harcèlement moral, 4% de discrimination salariale sur la base du genre, et 2% de discrimination à l’embauche. Des abus qui ne sont pas propres à notre secteur mais que celui-ci ne doit pas ignorer pour autant.
Beaucoup de données, via les réponses et les témoignages du questionnaire, démontrent en parallèle des problématiques récurrentes de communication et de gestion de production au sein des studios. Rappelons qu’à part deux cursus disponibles aux Gobelins et à IIM, on ne trouve des cursus dédiés aux postes de production en animation (assistant·e de prod, chargé·e de prod, coordinateur·ice de prod, directeur·ice de prod) que depuis 2025 à l’Atelier de Sèvres et ArtFX. Il n’existe en parallèle pas de formations au management spécifiques à nos métiers pour les leads et sup qui soient prises en charge par l’AFDAS. En résulte des conditions de travail dégradées, de par la méconnaissance du droit du travail, mais aussi par un manque d’écoute et d’empathie assez flagrant partagé dans les témoignages. En parallèle, plusieurs témoignages se plaignent de l’ingestion de nos producteurices, qui sous-estiment les coûts de production pour trouver les financements, laissant les équipes s’épuiser pour livrer dans les temps et budgets impartis. De même, les redressements judiciaires et fermetures de studios de ces derniers mois (O2O, TeamTO, Cyber Group Studios, Technicolor, Studio Redfrog, 2D3D) ne les rassurent pas quant aux capacités managériales du patronat.

Le manque de connaissance des travailleureuses quant aux fonctions correspondant·es à chaque poste de gestion de production amène également des mécompréhensions de leur poste, et parfois des confrontations directement avec la direction du studio ou lae producteur·ice. Le peu de CSE, de représentant·es syndicaux et de formation syndicale dans notre secteur ne fait rien pour arranger les choses. Nous rappelons qu’il est toujours temps de se syndiquer, ne serait-ce que pour faire plus aisément remonter les abus existants au sein des studios.

Parmi les abus que nous n’avions pas listés, 10% des répondant·es nous ont par ailleurs fait part de harcèlement moral, 4% de discrimination salariale sur la base du genre, et 2% de discrimination à l’embauche. Des abus qui ne sont pas propres à notre secteur mais que celui-ci ne doit pas ignorer pour autant.
Beaucoup de données, via les réponses et les témoignages du questionnaire, démontrent en parallèle des problématiques récurrentes de communication et de gestion de production au sein des studios. Rappelons qu’à part deux cursus disponibles aux Gobelins et à IIM, on ne trouve des cursus dédiés aux postes de production en animation (assistant·e de prod, chargé·e de prod, coordinateur·ice de prod, directeur·ice de prod) que depuis 2025 à l’Atelier de Sèvres et ArtFX. Il n’existe en parallèle pas de formations au management spécifiques à nos métiers pour les leads et sup qui soient prises en charge par l’AFDAS. En résulte des conditions de travail dégradées, de par la méconnaissance du droit du travail, mais aussi par un manque d’écoute et d’empathie assez flagrant partagé dans les témoignages. En parallèle, plusieurs témoignages se plaignent de l’ingestion de nos producteurices, qui sous-estiment les coûts de production pour trouver les financements, laissant les équipes s’épuiser pour livrer dans les temps et budgets impartis. De même, les redressements judiciaires et fermetures de studios de ces derniers mois (O2O, TeamTO, Cyber Group Studios, Technicolor, Studio Redfrog, 2D3D) ne les rassurent pas quant aux capacités managériales du patronat.

Le manque de connaissance des travailleureuses quant aux fonctions correspondant·es à chaque poste de gestion de production amène également des mécompréhensions de leur poste, et parfois des confrontations directement avec la direction du studio ou lae producteur·ice. Le peu de CSE, de représentant·es syndicaux et de formation syndicale dans notre secteur ne fait rien pour arranger les choses. Nous rappelons qu’il est toujours temps de se syndiquer, ne serait-ce que pour faire plus aisément remonter les abus existants au sein des studios.

Les abus, manquements et inquiétudes tendent à se superposer les uns aux autres, et à accentuer un mal-être général ressenti par les travailleureuses. Beaucoup parlent non seulement des conditions de travail, des quotas trop importants, des deadlines impossibles à tenir, de la difficulté de faire ses heures (61% des répondant·es), du turn over en studio (39%), mais également de manque de reconnaissance et de la dépréciation de nos métiers, en partie induits par la dépendance au marché américain et par la délocalisation d’une partie de la chaîne de fabrication. On note également dans les témoignages des craintes récurrentes sur la montée des extrêmes droites en France et à l’étranger, sur l’impact que cela aura sur notre secteur professionnel et sur l’ensemble de la culture.

D’autres répondant·es insistent sur la qualité des productions sur lesquelles iels travaillent, n’y voyant qu’un intérêt mercantile, et regrettant le manque d’originalité des projets. N’oublions pas que nos métiers sont intrinsèquement artistiques, et que pour qu’ils restent des métiers dits passions, les conditions de travail importent, mais le sens des projets est aussi primordial.

Beaucoup d’abus sont remontés dans les réponses au questionnaire, mais peu de témoignages font preuve de la conscience de l’illégalité de ces derniers, ou d’une conscience de la possibilité d’organisation collective pour les contrer. De même, nous notons une certaine difficulté dans les réponses à différencier un abus illégal d’éléments de production mal pensés, mais légaux, qu’il convient dès lors de mieux encadrer, d’améliorer. Peu de travailleureuses semblent avoir le réflexe de contacter les syndicats, qui sont là pour prodiguer conseils, et potentiellement soutien et protection. Il est aussi possible de se faire entendre en se regroupant au sein même des studios, qu’ils aient ou non des CSE. Certains témoignages font transparaître une crainte que la pression et la concurrence entre travailleureuses soit telle qu’il est impossible de lutter. Mais c’est justement en se faisant entendre collectivement que l’on pourra lutter, pas en s’écrasant individuellement devant les illégalités et les conditions de travail déplorables poussées par des budgets trop maigres et des quotas trop hauts.

Manque de transparence
Beaucoup s’inquiètent de la montée des IA génératives récentes dans le secteur. Les syndicats, patronaux comme de travailleureuses, s’emparent progressivement du sujet, mais celui-ci évolue si vite qu’il est difficile à suivre pour légiférer sur son utilisation. Côté studio, il n’y a eu que La Cabane qui s’est ouvertement positionnée contre durant le festival d’Annecy 2024. Au sein du questionnaire, 81% des répondant·es s’inquiètent des protections contre les IAG, et 18% des témoignages portent sur le sujet. Mais le CNC, tout comme les festivals (Rennes et Annecy en tête) n’ont pas un positionnement fermé aux IAG, voire pas de positionnement public du tout vis-à-vis de cette technologie. Il y a un flou quant à l’utilisation des IAG déjà faite dans notre secteur, renforcé par l’afflux de posts pro IA tournant sur des plateformes comme Linkedin, et qui donne une impression d’omniprésence. Des exemples d’utilisation, tant à l’écriture qu’en concept art et character design, ont malgré tout déjà été rapportés, notamment lors du Contre Sommet de l’IA auquel nous avions participé, par la Guilde et le Syndicat des Scénaristes, ainsi que lors d’une table-ronde de l’AGRAF sur le sujet.

De même, le nombre d’écoles et des diplômé·es annuel·les semble sans fin quand on voit le nombre de demandes de stages sur Facebook, Linkedin et consort. Ainsi, dans le questionnaire, 13% des témoignages portent sur la gestion des écoles d’animation, 10% sur le secteur saturé et 75% des inquiétudes exprimées touchent au trop grand nombre de diplômé·es annuel·les. Cela fait montre à la fois d’un intérêt profond des travailleureuses pour leurs futur·es collègues, et d’un brouillard obscur quant à la quantité réelle de personnes qui tentent de s’insérer dans le secteur chaque année. Les écoles ne publient pas de nombre de diplômé·es et mentent sur les pourcentages d’insertion professionnelle, comme nous parlions dans notre étude dédiée au sujet.
CONCLUSION
Il nous est difficile d’avoir une vue globale des travailleureuses du secteur. Nous n’avons par exemple aucune visibilité du nombre de permittent·es existant, pas plus que du nombre de recrutements réels à l’année, ou de personnes qui sortent du système de l’intermittence tout en continuant à travailler dans le film d’animation, que ce soit en auto-entreprenariat ou en tant qu’artiste-auteurice. Ce baromètre tente de combler au moins partiellement ce vide, mais il serait utile, pour mieux déterminer les besoins du secteur, que nos syndicats, le CPNEF, Audiens et le CNC s’intéressent eux aussi à la typologie des travailleureuses du film d’animation.
Si certain·es ont encore la passion chevillée au corps, beaucoup d’autres sont aussi fatigué·es, blasé·es par un secteur qui les essore jusqu’à les dégoûter de leur métier, qui en extrait toute la créativité pour produire toujours plus à moindre coût. Beaucoup de répondant·es, quel que soit leur âge, partagent une inquiétude quant à leur pérennité dans le secteur : les conditions de travail, la précarité, l’instabilité et les bas salaires leur font craindre de devoir se reconvertir pour pouvoir avoir une réelle vie de famille, avoir accès à un logement, se fixer, ou juste vivre de leur travail sur le long terme. Les chiffres du secteur partagés par le CNC, notamment la pyramide des âges, tendent à donner raison à leurs inquiétudes. Beaucoup partagent aussi les burn out, les tendinites à répétition, l’anxiété et le mal-être général consécutifs au fonctionnement du secteur. Enfin, les plus seniors s’inquiètent de voir leur nombre réduit à peau de chagrin, de voir que les juniors, moins chers, plus malléables et plus dynamiques, les remplacent peu à peu, amenant une perte de savoir-faire sur le long terme.
Nombreuxses sont celleux qui parlent de reconversion, ou a minima, de travail alimentaire ou d’activité annexe pour pouvoir s’en sortir. Iels font également beaucoup remarquer l’inadéquation du fonctionnement de l’intermittence du spectacle à ces périodes creuses, puisqu’il est extrêmement difficile de rebasculer côté intermittence lorsqu’on est passé au régime général. Dans les témoignages sur les inquiétudes et les espoirs, beaucoup espèrent pouvoir continuer à travailler dans ce secteur. Les répondant·es sont très majoritairement heureuxses de leur métier, et veulent pouvoir continuer à l’exercer dans des conditions dignes.
Pour cela, nous ne pouvons qu’encourager nos collègues et camarades à faire remonter les abus vécus en studio auprès des syndicats, à se syndiquer elleux-mêmes (et/ou à nous rejoindre), et au-delà, à échanger, à créer du lien, de la solidarité et du soutien entre travailleureuses du secteur. Ne restez pas seul·es, ne soyez pas silencieux·ses.
En conclusion, nous ne pouvons que citer l’un des témoignages, qui nous semble regrouper une bonne partie du ressenti de nos collègues :

Quelques témoignages positifs pour finir sur une note plus optimiste :

ANNEXES
- https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/01/l-animation-francaise-se-refuse-a-n-etre-qu-un-sous-traitant-au-service-de-geants-internationaux_6111875_3232.html#xtor=AL-32280270-%5Bmail%5D-%5Bios%5D
- https://www.audiens.org/solutions/services-aux-entreprises-etudes-et-statistiques.html
- https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/etudes-prospectives/le-marche-de-lanimation-en-2023_2205856
- https://www.culture.gouv.fr/presse/communiques-de-presse/France-2030-La-ministre-de-la-Culture-annonce-les-68-projets-laureats-de-la-Grande-Fabrique-de-l-image#:~:text=Cette%20initiative%20in%C3%A9dite%2C%20dot%C3%A9e%20de,tournages%2C%20de%20la%20production%20de
- https://www.info.gouv.fr/actualite/france-2030-la-ministre-de-la-culture-annonce-les-68-projets-laureats-de-la-grande-fabrique-de-l

