
Disclaimer : malgré son nom, ce rapport fait l’état des lieux du secteur du film d’animation de l’année 2023 en ce qui concerne les emplois, du fait des chiffres d’Audiens sur lesquels sont basées les données du rapport ainsi que d’une décision commune entre le CNC et Anim France.
Le rapport annuel du CNC sur le marché du film d’animation est un outil de mesure de la santé du secteur qui se décompose en plusieurs parties : cinéma, audiovisuel, emplois, vidéo et international. La partie qui nous intéresse ici le plus, en tant que travailleur·euses du secteur, est celle sur les emplois. Elle se base sur les chiffres récoltés mensuellement par Audiens (groupe de protection sociale français à but non lucratif, spécialisé dans le secteur de la culture, de la communication et des médias).
Ce rapport permet de se faire une idée de l’évolution du secteur, et bien qu’il manque de précision quant aux détails des postes et aux profils des travailleur·euses, il donne malgré tout un aperçu général utile du film d’animation français.
Début de l’effet de crise
Après deux années de très forte progression (+24,4 % entre 2020 et 2022), les effectifs dans les entreprises de production de films et de programmes d’animation se stabilisent en 2023 (-0,8 %, à 10 225 salariés)
2023 marque le tout début d’une réduction des effectifs (donc du nombre de travailleur·euses), ce qui n’était pas arrivé depuis 2020. Les chiffres 2024 et 2025 à venir dans les deux prochaines années donneront un meilleur aperçu de l’impact réel de la crise sur le nombre d’emplois du secteur.
Certes, les montants investis en France dans les projets d’animation audiovisuelle aidés par le CNC en 2022 et 2023 reculent par rapport aux années précédentes (respectivement 145,2 M€ et 186,7 M€, contre 253,6 M€ en 2021), mais l’activité générée en 2022 et 2023 provient en partie de projets aidés auparavant, le secteur de l’animation se caractérisant par des processus de fabrication des œuvres longs, sur plusieurs années.
Comme précisé dans le rapport, l’animation se caractérise par son temps long : les réductions de montants investis en France dans les projets d’animation audiovisuelle en 2022 et 2023 risquent donc d’avoir des effets sur le nombre d’emplois et le montant des salaires en 2024 et 2025, a minima.
En 2023, 83,5 % des salariés sont intermittents, une part en légère baisse pour la deuxième année consécutive (84,0 % en 2022, 84,7 % en 2021) après avoir fortement augmenté sur la période (77,8 % des effectifs en 2004).
En 2023, la part occupée par les salariés en CDI dans les effectifs s’établit à 12,7 % de l’ensemble des salariés du secteur, une part en légère progression depuis 2014 (11,0 %). Le nombre de salariés en CDI connaît toutefois une nette progression sur l’ensemble de la période, passant de 628 salariés en 2014 à 1 317 salariés en 2023 (+109,7 %), soit le plus haut niveau de la décennie.
Nos emplois sont très largement intermittents, et sont donc, par leur précarité inhérente, les premiers affectés par la crise. On l’observe en comparant avec les CDI, qui eux, profitent d’une augmentation régulière et constante, bien qu’ils occupent un pourcentage des effectifs totaux assez stables.
Après une période de stabilité entre septembre 2022 et avril 2023, les effectifs du secteur diminuent progressivement, passant ainsi de 8 772 salariés en mars 2023 à 7 726 salariés en mars 2025 (-11,9 %), un niveau qui reste toutefois nettement supérieur à celui de mars 2019 (6 302 salariés, soit +22,6 %).
Pour les salariés intermittents, le niveau d’emploi, lié à la variation conjoncturelle de l’activité, diminue de 15,4 % entre mars 2023 (6 130 CDDU) et mars 2025 (5 184 CDDU).
Nous aurions perdu, entre 2023 et 2025, près de 12% des travailleur·euses du secteur, voire plus de 15% si l’on prend uniquement en compte les intermittent·es. Ce chiffre est obtenu alors que nous sommes encore au milieu de l’année. Il est probable qu’il soit plus important d’ici fin 2025. Et bien que le nombre de salarié·es du secteur reste plus élevé qu’en 2019, c’est la première fois qu’il baisse depuis 2004 (date avant laquelle les données liées à l’emploi sont indisponibles en ligne), confirmant que nous traversons la crise la plus conséquente que le secteur ait jamais subi.
Cette baisse des effectifs sur un an s’observe plus particulièrement au niveau des primo-entrants dans le secteur : 1 346 nouveaux intermittents en 2023 ont été recrutés, en net recul par rapport aux niveaux élevés des deux années précédentes (1 880 en 2021 et 1 812 en 2022), et le plus bas niveau depuis 2015, hors années de crise sanitaire.
Les primo-entrant·es, soit les personnes qui font pour la première fois leurs heures d’intermittence, sont les plus touché·es par ce début de crise. Mais s’iels sont 26% moins nombreux·ses qu’en 2022 à entrer sur le marché, iels représentent toujours 15,5% des CDDU, contre 20,5% en 2022. La baisse est importante mais ne correspond pas à l’intégralité de celle de l’ensemble des travailleur·euses. À noter cependant que la parité chez les primo-entrant·es a finalement été acquise en 2023, avec un écart qui se réduisait de manière visible depuis 2017 (sans qu’une corrélation avec le mouvement MeToo ne soit démontrée).
Le volume horaire connaissant une baisse plus marquée que les effectifs intermittents (respectivement -10,3 % et -2,2 % par rapport à 2022), il s’ensuit que le nombre moyen d’heures déclarées pour un technicien intermittent connaît aussi une baisse significative, à 840 heures travaillées en moyenne, contre 917 heures en 2022 et 871 en 2021 (415 heures en moyenne pour l’ensemble des intermittents du spectacle enregistré et du spectacle vivant en 2023 selon France Travail).
La moyenne d’heures travaillées induit en réalité, en se basant sur les chiffres d’Audiens, que près d’un tiers des intermittent·es ne parviennent pas à faire leurs heures (32%). A noter cependant que ce pourcentage est sensiblement le même d’une année sur l’autre depuis 2021, et était même plus élevé entre 2017 et 2021, oscillant entre 34% et 39% des intermittent·es.
Les techniciens en CDDU de la production de films d’animation sont très jeunes, 75% ont moins de 40 ans en 2023. La répartition des tranches d’âges des CDDU est stable ces dernières années et elle évolue moins dans le temps que les tranches d’âge des CDI.
L’âge jeune des travailleur·euses n’est en soit pas étonnant, puisque 50% d’entre elleux ne dépassent pas les cinq ans d’emploi dans le secteur. La main-d’œuvre se retrouve constamment renouvelée, avec donc un âge moyen très bas (38% ont moins de 30 ans, et c’est la tranche d’âge la plus importante du milieu), qui peine plus à négocier son salaire, ses contrats, et qui souvent, ne connaît pas ses droits.
Comme nous ne savons pas ce que deviennent les intermittent·es qui disparaissent des radars, il est en réalité impossible de savoir s’iels restent dans le film d’animation (en déménageant à l’étranger, en travaillant en tant que freelance pour des studios étrangers depuis la France) ou dans un secteur proche (VFX, jeu vidéo). Jusqu’en 2018, les rapports annuels d’Audiens précisaient pourtant la mobilité intermittente dans des secteurs adjacents (prestations techniques, cinéma, audiovisuelle, autre), mais ce n’est plus le cas depuis.Concernant les raisons des reconversions professionnelles, le baromètre que nous avons publié en mars 2025 faisait mention, via les témoignages publiés, de la précarité des emplois, des salaires, des abus professionnels banalisés, et de la gestion du recrutement dans les studios.
Féminisation du secteur
En 2023, 4 481 femmes sont employées par une entreprise du secteur, un niveau record, en légère hausse sur un an (+2,2 %) et en très forte progression sur la décennie (1 925 femmes en 2014, soit +150,2 %). Dépassant le seuil des 40 % depuis 2021 (42,5 % en 2022, 41 % en 2021), la part de femmes s’établit en 2023 à 43,8 %, un nouveau record. Si cette part avait peu évolué de 2004 à 2015 (entre 31 % et 33 %), elle connaît une hausse significative à partir de 2016 et gagne depuis plus d’un point chaque année.
La part de femmes au sein des salariés intermittents est encore moins importante que chez les salariés permanents mais progresse vivement depuis 2017 et porte la féminisation observée sur l’ensemble des effectifs. En 2023, la part des femmes au sein des intermittents continue d’augmenter, à 43,5 %, contre 41,7 % en 2022 et 30,2 % en 2014 (+13,3 points en dix ans). Avant cette dynamique de féminisation observée à partir de 2017, la part de femmes était relativement stable, variant entre 28 % et 32 % chaque année.
Le secteur se dirige doucement vers la parité générale : si l’on continue sur la lancée d’augmentation qu’on observe depuis 2017, elle devrait être atteinte en 2030. Mais encore faudra-t-il que les femmes perdurent dans le milieu, car elles tendent à fortement se réduire passé 32 ans et à quasiment disparaître passé 42 ans, contrairement aux hommes, dont la présence décroît certes avec l’âge, mais de manière plus progressive et moins drastique.
Dans le cas spécifique de l’intermittence, les chiffres sont proches, mais certains postes restent encore très masculins, notamment ceux amenant une plus grande reconnaissance professionnelle et salariale. Et si les chiffres d’Audiens que reprend le CNC manquent de précision quant à la diversité des postes (on compte par exemple une seule catégorie animation, sans avoir le détail 2D / 3D, directeur·ice, lead, animateur·ice et assistant·e animateur·ice etc.), ils mettent malgré tout en valeur la polarisation genrée des postes. Aux femmes les métiers d’accompagnement de la production (distribution, gestion de production, fonctions supports), ainsi que le poste fourre tout scan, traçage, colorisation, où elles sont majoritaires, aux hommes les postes techniques (TD, pipeline, R&D), la direction artistique, le storyboard, la modélisation, le son et les VFX.
La proportion de femmes chez les CDD d’usage augmente régulièrement depuis 2004 : celles-ci représentaient 31% des effectifs cadres et 29% des effectifs non-cadres en 2004 et elles représentent 38% des effectifs cadres et 45% des effectifs non-cadres en 2023. Nous notons qu’en 2023, le taux de représentativité des femmes chez les cadres en CDDU est au même niveau qu’en 2022.
Les femmes sont de plus en plus présentes dans les effectifs, mais surtout à des postes non-cadres. L’écart hommes-femmes est par ailleurs plus important dans les postes cadres, qui comprennent, pour les artistes-technicien·nes, les postes de lead, directeur·ices et superviseur·euses. Les postes à responsabilité, techniques comme artistiques, sont encore loin de la parité.
Nouveaux acteurs
Pour la seconde fois dans le rapport du CNC, les données s’intéressent à la consommation de Youtube, notamment auprès du public jeunesse. Grande source d’inquiétude du patronat, Youtube n’a pourtant pas sonné la fin de la télévision linéaire, comme semble le craindre AnimFrance dans sa conférence de presse annecienne. La consommation d’un site Youtube ou équivalent par les 3-14 ans varie grandement d’une année à l’autre, passant ainsi de 34% en 2023 à 21% en 2024 d’enfants qui sont passé·es par l’une de ces plateformes gratuites au moins une fois par mois durant l’année. Notons par ailleurs qu’il peut aussi s’agir de chaînes Youtube de chaînes TV, comme Slash (FTV), Gulli ou Arte, qui mettent des épisodes complets de leurs séries sur la plateforme.
Le patronat espère d’une manière ou d’une autre forcer Youtube à participer à l’effort de production, mais ne prend cependant pas en compte les créateurices indépendant·es qui se servent de la plateforme comme d’un espace de liberté que permettent peu les studios. Leur audience n’est pas nécessairement enfantine, mais il serait dommage que la production indépendante, parfois même soutenue par le CNC (coucou Diable Positif) se voit impactée par cette régulation.
Après un recul important du nombre d’épisodes d’animation disponibles en 2023 en raison de la fermeture définitive de Salto, l’offre est de nouveau en hausse en 2024 (+33 693 épisodes, soit +37,2 %), une hausse largement imputable à l’intégration de Crunchyroll
Côté streamers, Crunchyroll est intégré pour la première fois au calcul des épisodes disponibles en ligne, et en profite pour supplanter Netflix en tant que premier streamer en nombre d’épisodes animés disponibles sur son catalogue. Cela laisse espérer une ouverture de la production française vers des contenus adolescents (13 ans et plus) et adultes. Ouverture qui s’est poursuivie en 2025 avec des accords d’investissement de Crunchyroll dans la production française et avec, depuis 2023, une plus grande quantité de pitchs de projets Y/A et adultes au Cartoon Forum et Cartoon Movie depuis 2023.
