Guide de prévention et gestion des violences morales, sexistes et sexuelles

Catégories :

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  1. Introduction
  2. Savoir repérer les VHSS
    1. Le consentement
    2. Le harcèlement
    3. L’agression sexuelle
    4. Le viol
    5. Signaux faibles
  3. Qui contacter en cas de VHSS ?
  4. Écoles et Festivals
  5. Quelles sont les bases légales existantes ?
    1. Dans le Code du Travail et les lois :
    2. Dans la Convention Collective du film d’animation :
  6. Où et comment se former ?
  7. Annexes


Introduction

Le film d’animation, comme tout secteur professionnel, n’est pas exempt des violences liées au capitalisme et au patriarcat. Les personnes aux postes de gestion de production, ainsi que les chef·fes de postes et réalisateurices devraient, a minima, être formé·es à la prévention et gestion de ce qu’on appelle couramment les VHSS : violences et harcèlements sexistes et sexuel·les, qui comprennent également le harcèlement moral et, dans une certaine mesure, environnemental.

Les employeureuses, autrement dit nos producteurices, sont responsables de la sécurité des travailleureuses, et doivent depuis 2021 s’acquitter d’une formation, rendue obligatoire par le CNC. Il n’existe en parallèle aucune obligation pour les employé·es, quel que soit leur statut.

Nous ne pouvons que vous encourager à vous former et à vous partager les sources, informations et formations actuellement disponibles afin de lutter aussi efficacement que possible contre les VHSS. Plus nous serons nombreuxses à nous former sur ces sujets, plus il sera aisé de faire reculer les VHSS dans notre industrie. Nous vous proposons dans cette logique un guide pour revoir les définitions des VHSS, savoir les repérer et réagir en conséquence. Nous vous recommandons également en fin de guide où et comment vous formez plus en détail.


Savoir repérer les VHSS

Attention, on ne parle pas ici de se prendre pour Batman et de faire soi-même justice. Par contre, savoir repérer ce qu’on appelle les signaux faibles, soit les éléments qui permettent de déceler de possibles situations de VHSS, peut permettre d’agir avant que la situation ne se dégrade. On va en profiter pour rappeler quelques bases.

Vous retrouverez déjà tous les textes juridiques de référence définissant et sanctionnant les propos et comportements sexistes, le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles dans le kit de “La Culture dit Stop”, en annexe (page 70).

Le consentement

Le consentement, ce n’est pas juste “quand c’est non, c’est non”. Parce que selon la situation, on n’est pas toujours en position de refuser. Et cela vaut pour des relations intimes comme pour des relations professionnelles.

Dans le cadre du travail, c’est le plus souvent parce que la personne en face est un·e supérieur·e hiérarchique, une personne avec plus d’ancienneté ou d’expérience, ou juste un·e collègue dont on craint la réaction si l’on refuse. Qu’il s’agisse d’une relation d’autorité ou non, mieux vaut s’assurer d’avoir un oui éclairé plutôt que de supposer que la personne en face acquiesce puisqu’elle n’a pas dit non.

La vidéo “Tea Consent”, qui fait l’analogie du consentement dans un cadre sexuel avec le fait de proposer à quelqu’un de boire une tasse de thé, est toujours bonne à regarder, dans le doute.

“Sans oui, c’est non” devrait être l’adage usité.


Le harcèlement

Le harcèlement se caractérise par “le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.” Il se définit comme une violence répétée qui peut être verbale, physique et/ou psychologique. Le phénomène se prolonge parfois en ligne, on parle alors de cyberharcèlement. Il peut être le fait d’une ou plusieurs personnes.

Deux formes principales de harcèlement sont légalement reconnues : morale et sexuelle. Le harcèlement sexuel se défini par une atteinte répétée à la personne de par son genre, via des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste. Le harcèlement moral n’est pas dépendant du genre de la personne, mais amène une même dégradation des conditions de travail, et se définit également comme une atteinte aux droits et à la dignité de la victime.

Le harcèlement peut être qualifié d’environnemental ou d’ambiance, dans le cas où “sans être directement visée, la victime subit des provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables”. Cela peut correspondre à des remarques sexistes répétées entre collègues, mais également à des dessins sexualisant, érotiques, voire pornographiques de ces dernier·es, voire de personnages du film sur lequel on travaille.

Cas particulier du harcèlement sexuel : il peut être reconnu sans pour autant être répétitif : « toute forme de pression grave (même non répétée) dans le but d’obtenir un acte sexuel, au profit de l’auteur des faits ou d’une autre personne, est assimilée au harcèlement sexuel. Par exemple, votre supérieur hiérarchique vous promet de meilleures conditions de travail en échange d’un rapport sexuel.« 


L’agression sexuelle

Il s’agit d’une violence physique, d’attouchement commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, sur une partie du corps considérée comme intime et sexuelle, à savoir la bouche, la poitrine, le sexe, les fesses et les cuisses.


Le viol

C’est un acte de pénétration sexuelle ou un acte bucco-génital non consenti, de par la violence, contrainte, menace ou surprise.

Les définitions légales que nous résumons ici ne sont pas parfaites. Des collectifs féministes se battent notamment pour faire évoluer la reconnaissance du viol afin que la victime présumée n’ait plus à prouver qu’elle est bien victime, mais que l’agresseur présumé doive prouver son innocence. Car, comme nous le rappelions en 2022, les victimes n’ont rien à gagner à porter de fausses accusations. Le système policier et judiciaire actuel, très imparfait, fait que nos plaintes ne sont pas toujours correctement traitées et qu’une fois au tribunal, nos harceleurs, agresseurs et violeurs sont trop peu reconnus coupables malgré les preuves.


Signaux faibles

Il s’agit de changements progressifs ou soudains dans le comportement d’une personne, suite à des VHSS. Cela peut se caractériser par un isolement volontaire, des modifications de comportements alimentaires, sociaux, des troubles du sommeil, de la concentration, des retards, une hypervigilance et/ou une agressivité accrue. La liste n’est pas exhaustive mais donne une idée des éléments qui peuvent aider à repérer une victime. Connaître ces signaux permet d’intervenir avant que la situation n’empire, en burn out, dépression, ou pire.

Il existe également des outils comme le violentomètre, pour reconnaître des situations abusives, et pour auto-évaluer et sensibiliser aux VHSS. Celui de la CGT, centré sur le cadre professionnel, n’est pas parfait mais reste un outil appréciable.


Qui contacter en cas de VHSS ?

Rappel des cellules d’écoute existantes :

D’autres centres d’écoute, en dehors de la sphère professionnelle, existent également, notamment le centre Violence Femmes Infos, au numéro reconnu à l’échelle national 39 19. Ce n’est pas un numéro d’urgence mais une ligne d’écoute nationale destinée aux femmes victimes de violences.

Que vous soyez témoins ou victime de VHSS, vous pouvez vous adresser à plusieurs interlocuteurices pour faire un signalement. 

Quel que soit votre statut, intermittent·e du spectacle, CDD, CDI, apprenti, stagiaire, artiste-auteur ou auto-entrepreneur, l’employeureuse est responsable de la sécurité de l’ensemble des personnes qui travaillent dans l’entreprise. Les conseils ci-dessous sont donc valables pour toustes.


Au sein du studio de production :

  • Selon la personne mise en question et les personnes en charge de la production, vous pouvez faire remonter l’alerte auprès de votre supérieur·e hiérarchique (chef·fes de postes type lead, supp, ou coordinateurice et chargé·e de production).
  • Si l’entreprise dispose d’un CSE, il doit avoir a minima un·e référent·e VHSS à qui vous pouvez vous adresser. À partir de 250 employé·es, l’entreprise doit également avoir un·e référent·e VHSS hors CSE à disposition des équipes.
  • Vous pouvez également vous tourner, si l’entreprise en dispose, vers la personne chargée des ressources humaines.

Attention, toutes ces personnes ne sont pas nécessairement formé·es à prévenir et gérer les VHSS. Bon à savoir également : une fois l’alerte donnée, l’employeur dispose de deux mois pour réaliser l’enquête, après quoi, il ne peut plus prendre de mesures.

En dehors du studio de production :

Il existe des structures spécialisées qui sauront écouter, conseiller, et au besoin, mener une enquête interne. La plus connue, l’AVFT, est dédiée à la lutte contre les violences faites au travail. Il existe aussi des cabinets d’avocat·es spécialisé·es qui peuvent être contacter par l’entreprise pour diligenter l’enquête interne sur la base du signalement fait par l’employé·e. 

En cas de refus de l’employeur de lancer cette enquête malgré l’alerte donnée, CSE et/ou employé·es peuvent se tourner vers les prud’hommes, et surtout, vers les syndicats. Tous n’ont pas de cellule d’écoute dédiée, mais tous ont des juristes qui sauront répondre à vos questions quant aux possibles actions à entreprendre. Il s’agit, on le rappelle, des syndicats SPIAC-CGT, SNTPCT, CNT et F3C-CFDT. Pour les scénaristes, ce sont la Guilde des Scénaristes ou le Syndicat des Scénaristes.

Enfin, la victime peut également prendre rendez-vous avec la médecine du travail pour demander un arrêt ou faire reconnaître des troubles conséquents aux VHSS (voir signaux faibles listés au-dessus). Elle peut également se faire accompagner par la CIDFF, centres d’information sur les droits des femmes et des familles, qui saura lui fournir soutien médical, psy et juridique.

  • Consultations médicales Audiens – Pôle santé Bergère à Paris : 01 73 17 31 73
  • La Médecine du travail – Thalie Santé : 01 49 27 60 00 ou par email : contact@thalie-sante.fr
  • Cellule pluridisciplinaire de l’hôpital St. Antoine (dédiée aux victimes de harcèlement sexuel) : 0 800 00 46 41, du lundi au vendredi de 9h00 à 12h00 et de 14h00 à 16h00

Si vous avez repéré des signaux faibles, abordez d’abord discrètement le sujet avec la victime présumée. N’hésitez pas cependant à être vocal·e si vous êtes témoin de VHSS publiquement, que ce soit dans les locaux de l’entreprise ou en dehors de ceux-ci. Réagir à une situation abusive peut suffire, dans certains cas, à éviter ou faire cesser le harcèlement.

Si vous n’avez jamais reçu de formation et qu’une personne vient se confier à vous, ou vous signaler un cas de VHSS, voici quelques recommandations :

  • Accueillez la parole avec empathie, bienveillance, écoute, et sans jugement
  • Ne banalisez ou ne minimiser pas les faits qui vous sont rapportés
  • Ne culpabilisez pas la victime présumée
  • Ne submergez pas de questions la victime
  • Proposer une médiation avec un·e supérieur·e hiérarchique ou le CSE, qui doivent proposer des mesures conservatoires le temps que la situation soit résolue et lancer en parallèle une enquête interne

Le groupe RESPECT a également produit un rapport dont certains points peuvent s’adapter à la production de film d’animation et du VFX. On y trouve aussi un protocole à suivre en cas de signalement. Leur boîte à outils n’est pas définitive ni entièrement adaptée à la production de film d’animation et VFX, mais elle peut servir de base de travail.


Écoles et Festivals

La plupart des recommandations faites jusqu’ici s’appliquent également aux écoles d’animation privées (qu’elles soient indépendantes, associatives ou appartiennent à un groupe). Ce sont des entreprises, elles ont donc la sécurité des personnes y travaillant sous leur responsabilité, que ces personnes soient leurs employé·es (professeur·es, intervenant·es) ou leurs élèves.

Dans le cadre de festival (Rennes, Annecy, Clermont-Ferrand, Cannes etc.), la responsabilité de la prévention et gestion des VHSS n’incombe pas aux écoles et studios de production qui invitent leurs équipes, mais à l’organisme qui organise le festival. Il s’agit de l’AFCA pour le Festival National du Film d’Animation de Rennes, et de CITIA pour le Festival International du Film d’Animation d’Annecy.

La prévention, par des messages diffusés avant les films, comme c’est le cas depuis quelques années à Annecy, ainsi que par des stands dédiés et visibles et une charte de bonne conduite signée par tout le personnel et par toute personne souscrivant à une accréditation au festival, sont la base.

Comme en entreprise, il faut prévoir des référent·es VHSS (pour le personnel, les bénévoles et les festivalier·es) qui seront présenté·es aux équipes et accessibles dès la préparation du festival, et non uniquement pendant celui-ci.


Quelles sont les bases légales existantes ?

Dans le Code du Travail et les lois :

L’employeureuse est responsable de la sécurité de ses employé·es. Iel doit donc répondre à tout signalement qui ferait atteinte à leur santé, psychique ou physique. C’est le signalement qui fait office d’alerte pour déclencher une enquête interne, pas besoin de plainte ou de main courante au commissariat. Pas besoin non plus d’attendre l’ouverture d’une procédure pénale.


Dans la Convention Collective du film d’animation :

Notre Convention Collective ne comporte rien sur la prévention et gestion des VHSS. Seule la formation des producteurices est obligatoire depuis 2021. Sauf que celleux-ci ne côtoient pas leurs employé·es au quotidien et ne deviennent pas, en une demie journée de formation, des référent-es VHSS. D’où la nécessité de se former en tant travailleureuse.

Le CNC a élargi son obligation de formation en janvier 2025, pour les films de fiction, à destination des équipes de tournage, pour prévenir les VHSS. Malheureusement, les films d’animation et les VFX sont, comme souvent, les oubliés du lot. À nous d’interpeller le CNC pour adapter ces obligations dans notre secteur.

Au-delà des formations, les studios devraient mettre en place un dispositif de prévention et gestion des VHSS, ainsi qu’un protocole de signalement et d’enquête interne. Nous évoluons pour beaucoup dans des entreprises sans CSE ni RH, où ce sont souvent les chargé·es et directeurices de production qui sont les premier·es interlocuteurices des équipes de fabrication. Ni le CNC, ni la Convention Collective n’imposent pour l’instant d’obligations sur ce sujet. À nos syndicats de faire évoluer la situation.


Où et comment se former ?

La formation peut avoir lieu sur un temps de contrat comme de chômage selon si c’est l’employeureuse, CSE ou lae travailleureuse qui en fait la demande. Elle est prise en charge financièrement par l’AFDAS ou France Travail, sans amener de carence dans le temps de formation.

Il existe quatre types de formation à responsabilité et engagement progressifs :

  • La première permet d’apprendre les fondamentaux en matière de violences et harcèlements sexistes et sexuels (ainsi que moral). Elle s’adresse à tout employé·e, quel que soit son poste, ancienneté, expérience ou niveau de responsabilité.
  • La seconde, qui sert à mettre en œuvre un plan d’actions en matière de VHSS et d’évaluer ses effets au sein de l’entreprise. Elle s’adresse plutôt à des personnels des ressources humaines et représentant·es du personnel mais peut être suivie par toute personne intéressée, notamment lorsqu’elle a un contrat de plusieurs mois dans l’entreprise.
  • La troisième qui permet de contribuer au déploiement des mesures de lutte contre les VHSS suit la même logique.
  • Enfin, la quatrième permet d’être formé·e en tant que référent·e VHSS, et pourra être utilisé·e et mis·e en avant que vous soyez représentant·e du personnel, membre du CSE, RH ou simple employé·e.

Plusieurs organismes sont validés par l’AFDAS et proposent les quatre types de formations présentés précédemment :

Attention, ces formations ne sont pas la panacée, encore moins des solutions magiques. Toutes ne se valent d’ailleurs pas, ne serait-ce que du fait de leur durée respective et du public spécifique auquel elles s’adressent (personnel pédagogique en école, patronat, syndicat, employé·e CDI ou CDDU). Elles ne sont pas forcément toujours adaptées aux contrats courts de l’intermittence du spectacle et aux TPE de notre secteur professionnel. Elles permettent cependant de former à prévenir et gérer les violences morales, sexistes et sexuelles en école et en entreprise, et donc de politiser un plus grand nombre à ces questions.


C’est l’association Essaimer qui est chargée par le CNC de former nos producteurices à la question des violences sexistes et sexuelles. Cette formation, d’une durée de 3h30, consiste en réalité plutôt en une séance de sensibilisation au sujet. Elle ne suffit pas à prévenir et gérer les VHSS en entreprise, et à protéger les travailleureuses.

C’est pourquoi nous devons nous-mêmes nous former, pour savoir reconnaître ces violences, réduire autant que possible leur apparition et agir en conséquence lorsqu’elles sont déjà là. Il nous semble aussi urgent que le CNC et nos syndicats s’emparent de la question à l’échelle de notre secteur, collectivement, de manière à ce que le sujet soit envisagé de manière systémique. 

Le site La Culture Dit Stop a pour l’instant mis en place un kit de prévention pour la production audiovisuelle et cinématographique qui peut s’adapter à nos besoins en production de film d’animation.

Annexes

Certaines écoles d’animation (et potentiellement studio d’animation) font par ailleurs appel à d’autres organismes, notamment : 

  • e-enfance (pour le cyberharcèlement, dédié aux écoles)
  • women safe (autant pour les écoles que les entreprises, notamment pour devenir référent-e VHSS)
  • accordia (propose également des formations sur le recrutement sans discrimination et des workshops / atelier sur les enjeux LGBTQ+ en entreprise, en plus de celle pour devenir référent-e VHSS)
  • hally (ateliers courts -3h- sur les VHSS ou d’autres discriminations, pour les écoles et les entreprises, à destination de la direction, RH et référent-es).
  • apsytude (pour le soutien et le suivi psy des élèves durant leurs études)
  • safe campus (pour les écoles uniquement, personnel pédagogique et élèves)
  • la petite (pour les entreprises, référent-es, mais spécifiquement pensé selon le statut des personnes pour les modalités de paiement)
  • en avant toutes (pour les particuliers et les entreprises, intervient également sur les questions de stéréotypes de genre)
  • SICOGE (pour les CSE d’entreprise)