Lors des premières assises en 2018, un état des lieux du PAF (Paysage Audiovisuel Français) avait été réalisé par plusieurs acteur•ice•s du milieu, producteur•ice•s, distributeur•ice•s, réalisateur•ice•s, scénaristes etc, à l’aide du collectif 50/50, au sein des locaux parisiens du CNC.
Cette année comme la précédente, nous ne pouvons que constater l’absence des “petites mains” de l’industrie, tout comme certains syndicats, petites associations et collectifs spécialisés, qui connaissent pourtant bien la réalité du terrain. À défaut de disposer d’un pouvoir de décision, nous représentons les rouages d’une industrie qui tend à nous oublier lorsqu’il s’agit de prendre des décisions nous concernant. Le SPIAC CGT, la F3C CFDT et le SNTPCT n’étaient par exemple pas présents (invités ?).
Cependant, la charte dont il a principalement été question durant cette journée est belle et bien signée par des “associations et syndicats de directeur.rice.s de casting, réalisateur.rice.s, agents d’artistes, scénaristes et producteur.rice.s” selon le communiqué de presse du collectif 50/50. Il a plusieurs fois été répété que cette charte ne serait pas une nouvelle décoration creuse, destinée à trôner encadrée au-dessus d’un bureau pour faire bien voir, mais qu’elle s’accompagnerait de mesures concrètes. Elle est pourtant prévue sur la base du volontariat et non coercitive.
Un annuaire “de la diversité” édité par le collectif 50/50 proposera de développer les profils en dehors des cercles d’entre-soi masculins du milieu. Prendra-t-il en compte tous les postes de chaque profession liée à l’audiovisuel, de la stop-motion au musicien plateau en passant par l’ingénieur•e du son et lae scripte ? A l’heure actuelle, nous ne saurions dire.
Pour rappel, il existe déjà un bonus financier versé aux productions cinématographiques (le télévisuel et productions à destination des plateformes SVOD n’étant pas comprises) mis en place l’année passée par Françoise Nyssen, alors ministre de la culture. Une mesure une fois de plus non contraignante.
Le sexisme qui cache la forêt
Comme l’a fait remarquer Aïssa Maïga, les discriminations autres que le sexisme sont encore beaucoup reléguées au second plan. Ainsi, s’il a été question du racisme du milieu durant la matinée, c’est uniquement dans le cadre du classisme qui lui est attaché, participant de ce fait à déculpabiliser l’audience (principalement blanche) qui serait classiste par biais social plutôt que raciste.
Il n’a ainsi nullement été question de validisme, de LGBTophobies, de psychophobie, ou des spécificités âgistes et grossophobes qui touchent les actrices (l’une d’entre elles a pourtant pris la parole dans le public à propos de la maigre représentation des femmes de plus de 50 ans dans le PAF). Le racisme ne semblait concerner durant les débats que les personnes noires ou arabes, excluant par là tout le spectre raciste que peuvent vivre les travailleur•euse-s racisé•e•s de notre milieu professionnel, qu’iels soient asiatiques, des Premières Nations, métisses etc.
Dans le PAF, le cinéma live règne en maître
Par ailleurs, beaucoup d’éléments du PAF ont été oubliés durant cette journée de réflexion et d’action. Si les écoles de cinéma sont évoquées en amont des plateaux de tournage, les autres lieux de productions sont à peine reconnus. Le milieu de l’animation française, qui participe à l’audiovisuel français avec ses quelques 6000 travailleur•euse•s, n’a pas du tout été évoqué si ce n’est lors d’une courte prise de parole de Corinne Kouper, membre du SPFA. La publicité ne sera que rapidement abordée lors de l’intervention de Carole Bienaimé-Besse du CSA, notamment sur la question des représentations de genre (qui sera aussi évoquée pour les programmes jeunesse).
Le contenu des programmes et productions sur lesquelles nous travaillons est également oublié, alors que nous avons pourtant une responsabilité : celle des représentations. Un sujet d’autant plus d’actualité quand, le même jour, Alain Finkielkraut déclenchait une nouvelle polémique pour ses propos sur le viol sur un plateau télé, face à Caroline de Haas. Exit tout débat quant à une possible ostracisation de personnalités du milieu reconnues comme nocives, quand bien même Roman Polanski, condamné pour agression sexuelle sur mineure et accusée de plus d’une dizaine de viols supplémentaires, voyait au même moment son nouveau film distribué et salué.
Un tel comportement a deux conséquences : d’abord, il protège par la reconnaissance les auteurs de délits ou de crimes qui deviennent alors intouchables (le mouvement #MeToo est précisément né après des décennies de silence et de sourde oreille face à des actes de ce genre) ; ensuite, il encourage la perpétration de ces mêmes comportements par d’autres individus légitimés par des modèles présents dans l’espace médiatique, audiovisuel et culturel. Car la représentation marche aussi dans ce sens : ce n’est pas juste une meilleure représentation de la diversité du public, c’est aussi éviter de banaliser les propos et comportements dangereux appelant à leur reproduction par le public.
Au-delà même des scandales à répétition du petit et grand écran, est-il vraiment utile de rappeler que toutes les représentations ne sont pas bonnes à prendre ? Plus d’acteur•ice•s racisées, oui, mais d’autres rôles et oeuvres que des caricatures dangereuses maintes fois dénoncées par les collectifs et associations notamment afro-féministes. Il en va de même pour toutes les représentations : Si j’étais un homme et sa transphobie crasse, Epouse-moi mon pote et son homophobie de comptoir, tous ces films participent à faire perdurer les discriminations dans notre milieu et bien au-delà, auprès de l’audience qui visionne ces productions, par leur banalisation et leur minimisation.
S’il avait été question par exemple des productions jeunesses, nous aurions pu rappeler la frilosité des chaînes télé et des studios de production vis-à-vis des représentations LGBT+ dans les dessins animés français, ou du racisme induit par l’exotisation des rares personnages racisés à l’écran, notamment asiatiques.
Des actions en demie-teinte
Pour la parité et la diversité, on nous propose finalement une charte double (une pour les sociétés de production, une autre pour les sociétés d’édition-distribution et d’exploitation cinématographique), qui sera à ajouter à la longue liste des textes préexistants sur le sujet, sans parler de la Loi française. Charte à laquelle il faut également ajouter des Etats Généraux sur les abus sexuels et les harcèlements, à venir, portés par la SRF et qui déboucheront sur une charte supplémentaire. Ce texte du collectif 50/50 est, rappelons-le, destiné non pas aux entreprises mais aux associations et syndicats dont le pouvoir et l’impact sont nécessairement moindres, ne serait-ce que parce que les travailleur•euse•s n’en connaissent souvent pas même l’existence.
En parallèle de la charte a été créé un annuaire, non imposable aux nombreux•ses acteur•ice•s de l’audiovisuel, basé sur deux critères de sélection : la discrimination subie et le professionnalisme. Il faudra en effet pouvoir se justifier d’une expérience au même poste sur deux productions audiovisuelles diffusées. Favoriser l’inclusion de nouveaux talents et profils en mettant en avant des personnes ayant déjà une certaine expérience professionnelle nous semble toutefois quelque peu paradoxal.
Pour la lutte contre le harcèlement et les agressions sexistes (les autres discriminations n’étant pas abordées), il nous est annoncé la mise en place d’un•e référent•e à l’écoute des victimes et en mesure d’agir auprès de la production.
Une discussion avec les assureurs du cinéma et de l’audiovisuel est en cours pour qu’un tournage ou une production puisse être mise en pause si l’un de ses membres s’avérait coupable de harcèlement et/ou d’agression (physique ou sexuelle).
Agnès Saal, du ministère de la culture, a bien précisé que ce serait le groupe Egae, monté par Caroline de Haas, qui serait responsable des formations anti harcèlement des référents plateaux.
Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, va inclure dans les contrats de production du groupe une “clause de la diversité qui exige des sociétés de production, que leurs équipes de tournage, d’écriture et artistiques reflètent la diversité de la société française”. Cela concerne-t-il également les entreprises prestataires ou uniquement les sociétés dépendant directement de FTV ? C’est à voir.
Contrairement à l’inclusion rider américain, l’universalisme de la Constitution française nous empêche de pouvoir mettre en place des mesures de discriminations positives (quotas), pour rééquilibrer quelque peu la balance des pouvoirs et des représentations, tout comme il gêne la collecte de données sur la base de l’origine ethnique et raciale, pourtant nécessaire pour mieux lutter contre les discriminations racistes. Mais ne pourrait-on pas mettre en place un équivalent de quotas, plus imposant qu’une charte conciliante, avec des mesures précises et encadrées, comprenant les spécificités de chaque discrimination et métier de notre milieu professionnel ?
Certain•e•s n’ont pas attendu que les têtes de nos professions ouvrent les yeux et ont créé leurs propres structures pour infiltrer le cinéma et l’audiovisuel français blanc bourgeois. C’est ce qu’a fait la réalisatrice Houda Bounyamina avec son association 1000 Visages : elle refuse le ghetto dans lequel les cloisonnent les formations plus courtes, moins complètes mais gratuites des écoles de cinéma auxquelles sont le plus souvent cantonnés les résident•e•s des quartiers populaires, en participant à leur insertion dans le milieu du cinéma.
2020 sera décisif sur la mise en place et les conséquences de ces différentes actions, qu’il faudra probablement adapter aux spécificités de nos métiers, à la réalité des terrains et au budget du ministère de la culture, entre autres choses.
Stay tuned et en attendant, n’hésitez pas à contacter vos syndicats et associations professionnelles pour mettre en avant ces initiatives.
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